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Avant la rentrée : un conte

Une fois n'est pas coutume, je vous propose un conte sur le blog de miméthik. Prenez le temps de le lire, de l'apprécier, de le relire, de le laisser vous enchanter, voire même de vous inspirer...

La vie sans lunettes #OPOPOP !

Crédits images : Noëmie BECHU
Crédits images : Noëmie BECHU

Il était un monde où personne ne s'écoutait. Le brouhaha était ambiant. Il était audio-visuel. Il était partout. Il avait tout envahi, comme le béton recouvre les sols. Mais il ne servait qu'à générer un bruit inaudible, vrombissant et effrayant. Il ne servait pas à agir, et encore moins à agir pour le bien commun qui semblait avoir disparu.

Dans cette peuplade, chaque individu était constitué d'une paire de pieds violents (prêts à tacler le concurrent, à fouler l'ennemi, l'adversaire, le rival, ou à s'enfuir par lâcheté) et d'une bouche géante, génératrice du plus de bruit possible.

Tendues sur leurs deux pattes, les bouches blablataient hystériquement du lever au coucher du soleil.


Tous les pieds évoluaient en masse, les uns sur les autres, totalement désorganisés et sur la défensive en permanence.

Le brouhaha prenait toute la place, autant que les ego de ceux qui s'exprimaient. Et l'expression était elle aussi devenue un réflexe omniprésent, souvent de piètre qualité et qui visait surtout à se victimiser, à dénigrer ou à pointer l'autre dans ses moindres erreurs, ses moindres failles... Et si l'on pouvait lui botter les fesses en place publique, on ne se dérangeait pas pour le faire.

Bref, c'était un monde compliqué, brutal et malveillant dans lequel il était difficile de s'y retrouver, chacun estimant détenir LA vérité ultime et ne suivant que ce chemin auto-alimenté par son propre bruit.

Ce mécanisme empêchait simplement la vie.


La vie avec des lunettes #OPOPOP !

Crédits images : Noëmie BECHU
Crédits images : Noëmie BECHU

Heureusement, dans ce monde cacophonique se trouvaient de petits ilots calmes, reposants, tels des havres de paix. Ils étaient discrètement disséminés un peu partout de par le monde.

Dans ces zones harmonieuses, on trouvait des personnes qui n'avaient plus l'apparence de pieds prêts à botter des fesses ou à fuir leurs responsabilités, mais des mains. Des mains ouvertes à l'autre, prêtes à aimer, accueillir, à soigner, à caresser, à semer des graines, à créer, à lâcher prise...

Aucun de ces individu ne cherchait à détenir une quelconque vérité. Chacun cherchait plutôt à être attentif à la vie, à ce qui pouvait être merveilleux et bon, à aller vers l'autre, vers la nature pour mieux le connaître et communiquer avec lui ou avec elle.


Dans ces endroits presque féériques, les mains avaient quatre drôles d'attributs : des oreilles. Quatre ! C'était du jamais vu ! Pourquoi donc avoir quatre oreilles perchées ici ou là sur soi ?

Le hasard (s'il existait) avait bien fait les choses et ces quatre oreilles avaient toutes une utilité. La première permettait de s'écouter soi-même, d'entrer en contact avec son intuition, avec sa beauté intérieure, avec des souvenirs doux et savoureux, à prendre du recul pour avancer dans le moment présent. La deuxième servait à écouter l'autre, qui avait besoin de partager, de s'exprimer, de co-créer... La troisième avait l'utilité de focaliser l'attention sur les bruits de la nature : le frémissement d'un orvet dans un fourré, le piaillement d'un oisillon, la chute d'une feuille se détachant de la branche d'un arbre... Et la quatrième oreille, quant à elle, permettait d'écouter le silence. Doux, valorisant, nourrissant : le silence favorisait la méditation, la paix et la sérénité.


Plus souvent qu'on ne le pensait, il arrivait que des mains accueillent des pieds dans un havre de paix. L'inverse était beaucoup plus rare, car quitter le monde féérique des mains était presque inconcevable.

Les mains demandaient alors aux pieds : "Que s'est-il passé pour vous, chers Pieds ?" et écoutaient sagement leurs réponses : "J'ai tellement parlé pour me défendre de quelque chose dont je ne sais plus la cause que mes pieds se sont cassés." ou encore "Je suis aphone, épuisé d'avoir exprimé MA vérité à tort et à travers." et même "Je me suis tant fait botter les fesses que j'ai préféré m'enfuir car la violence m'a terrassé."

Attentives et empathiques, les mains posaient délicatement les doigts sur les bouches musclées, rouge vif, prêtes à vrombir à nouveau. "Chut" murmuraient-elles "Ressentez le calme, amis Pieds". Puis, elles massaient les pieds brûlants d'avoir trop piétiné, échauffés d'avoir trop frappé des frères, tendus par le brouhaha subi à l'intérieur comme à l'extérieur...


Et petit à petit, de jour en jour, les mains transformaient généreusement les pieds hardis en jeunes mains douces et joyeuses, leur apprenant l'habileté de certains gestes tendres et de techniques porteuses d'espoir : cuisiner, peindre, dessiner, semer des graines ou planter des arbres, écrire, méditer, développer l'écoute grâce aux quatre oreilles magiques qui prenaient forme comme si des potiers étaient venus les travailler artisanalement.

Et chaque nouvelle main façonnée, terminée, prête à agir pour elle-même comme pour autrui alimentait la paix, l'optimisme et la douceur dans le monde...